Le Guide de la Percussion

par Amélie Stillitano & Raphaël Simon

Ensemble de percussions

Avant de lire ce qui suit, il est recommandé de lire d'abord la première partie des Trucs et Astuces consacrée à la "Percussion Solo". Vous ne trouverez dans cette partie "Ensemble de Percussions" que des conseils complémentaires spécifiques à cette formation instrumentale.

Instrumentarium & Ecriture

Ecrire pour ensemble de percussions équivaut à composer une pièce pour un large set-up constitué de différents petits set-ups. La démarche d'élaboration de l'instrumentarium valable dans le cas d'une pièce solo est donc à appliquer à la fois pour chaque set-up mais également sur un plan plus large. Le compositeur devra donc y apporter le même soin que lors de l'écriture d'une pièce pour percussion solo, et plus encore, car la multiplication des percussionnistes ne fait qu'accroître les problèmes d'équilibre, de spatialisation, de dimensions de set-ups...

Nombre de percussionnistes

Lorsque l'on écrit pour ensemble de percussions, il faut tout d'abord déterminer le nombre de percussionnistes que l'on souhaite utiliser. Les formations les plus répandues sont duo, trio, quatuor et sextuor. Dans le cas d'une commande pour une formation déterminée (commande pour un trio, un quatuor), il est important de bien répartir les parties musicales afin qu'elles soient équilibrées et que l'on évite de léser certains percussionnistes. Dans le cas contraire, où l'inspiration musicale précèderait le choix du nombre d'interprètes, on partira de la musique pour déterminer combien de percussionnistes seront nécessaires à son exécution.
Gare à l'utilisation d'un nombre trop important de percussionnistes car cela risque de compliquer l'exécution future de la pièce : nombre de cachets, espace scénique, instrumentarium, logistique, organisation des répétitions... Une pièce pour 6 percussionnistes ayant chacun 1 grosse caisse, 1 timbale, 4 toms, 5 woodblocks et 3 cymbales revient alors à réunir 6 grosses caisses, 6 timbales, 24 toms, 30 woodblocks et 18 cymbales... autrement dit beaucoup plus de matériel que la plupart des conservatoires ou orchestres du monde ne possèdent ! Quelques œuvres ont malgré cela eu un réel succès et une large diffusion en dépit d'une liste humaine et matérielle importante (Ionisation de Varèse, Festin de Maresz...).

Sélection et répartition des instruments

La sélection et la répartition de l'instrumentarium doivent se faire selon différents critères pour veiller à l'équilibre de l'ensemble :

Equilibre sonore :  en plus de l'équilibre individuel de chaque set-up, le compositeur devra porter une attention particulière à la balance sonore globale de l'ensemble. Il faudra ainsi adapter les nuances entre les percussionnistes en fonction du résultat souhaité et du rôle attribué à chacun. Le volume sonore entre des bongos joués avec les mains forte et des bidons métalliques joués avec des baguettes en fer forte n’a en effet strictement rien à voir.
 
Enchaînements : la répartition des instruments doit également tenir compte des modes de jeu et des baguettes employées. En effet, si l’on souhaite musicalement un passage dans lequel un trait de marimba et un trait de glockenspiel s’enchaînent très rapidement, les baguettes utilisées sur les deux instruments n'étant pas du tout les mêmes, et le passage de l'un à l'autre demandant un certain délai, il peut être intéressant que les traits soient répartis entre deux percussionnistes. Cela permettra un enchaînement plus fluide et moins précipité.

Changement de baguettes : un autre critère déterminant dans la répartition des instruments est sans conteste le type de baguettes utilisées, et ce afin d'en limiter les changements. Il est en effet peu judicieux d’attribuer par exemple tous les claviers à un seul percussionniste, qui devra alors changer de baguettes pour le glockenspiel, le vibraphone et le marimba... ce qui limitera sa virtuosité d'exécution et les modes de jeu possibles. Mieux vaut alors peut-être une répartition plus homogène entre les interprètes.

Temps de préparation : l'écriture pour ensemble permet de jouer plus librement avec les temps de silences de certains des musiciens afin notamment de faciliter les changements de baguettes, les tournes de pages mais aussi d'accorder aux percussionnistes le temps de préparation nécessaire à l'utilisation de certains instruments (cymbales frappées, accord des timbales...). Une répartition intelligente des instruments permettra ainsi à l'interprète d'anticiper ces gestes pendant que ses camarades continuent à jouer.

Instruments communs : il peut parfois arriver que les percussionnistes se partagent un même instrument. Cela permet un gain de place parfois conséquent (grosse caisse, tam ...), mais aussi une économie de moyens logistiques et financiers. Cela présente toutefois quelques contreparties à garder à l'esprit :
  • Nécessité de penser à l'agencement de chaque set-up, mais également à la disposition des sets les uns par rapport aux autres pour que les instruments communs soient facilement accessibles par les deux percussionnistes, et ce sans engendrer trop de déplacement supplémentaires.
  • En termes de timbre, l'instrument en commun aura bien sûr la même sonorité pour les deux percussionnistes (dimensions et accord identiques, système de fixation...). On pourra alors jouer sur l'utilisation de baguettes différentes et sur les modes de jeux si l'on souhaite renforcer l'identité de chaque set-up.
Il faut noter que certains instruments comme les claviers, les gongs, les timbales... ont un sens d'utilisation et qu'il faut être dans une certaine position pour en jouer. Leur utilisation commune par deux percussionnistes sera donc plus compliquée que celle d'un tom, d'une grosse caisse ou d'une cymbale, qui peuvent sans problème être positionnés telle une ligne centrale entre les deux sets de percussionnistes, et jouables dans un sens comme dans l'autre.

Agencement des set-ups et spatialisation

Les critères de sélection et de répartition des instruments cités ci-dessus sont intrinsèquement liés à l'agencement et à la spatialisation des différents set-ups, qui devra donc en tenir compte tant sur le plan sonore, visuel que pratique.
 
Sonore : les problématiques d'équilibre sonore, du rendu harmonique ou de la disposition en fonction de l'ambitus valables pour l'écriture d'une pièce pour percussion solo demeurent les mêmes mais sont démultipliées en ensemble. On devra ainsi veiller à l'équilibre sonore de chaque set-up mais également dans le rendu global du set-up formé par l'ensemble des percussionnistes. Par exemple, en mettant les instruments les moins puissants plus proches du public, et à l'inverse les instruments bruyants au fond de la scène.

Pratique : dans le cas d’une exécution sans chef, il est important que les percussionnistes puissent avoir un contact visuel direct avec un maximum de leurs partenaires. En effet, la précision des impacts, les changements de tempi, les départs en unisson requièrent souvent un certain contrôle visuel.
 
Visuel : il faut penser à l'esthétique de l’ensemble, en prenant en compte les dimensions des instruments et leur encombrement, afin que tous les set-ups soient visibles du public. Il serait peu judicieux par exemple de placer un percussionniste jouant des octaves de gongs thaïlandais sur portiques, ou des cloches tubulaires, sur le devant de la scène, car cela risquerait de gêner l'appréhension globale de la pièce pour le public en l'obligeant à se focaliser sur ces instruments de par leur nature imposante.
 
Spatialisation : le placement des percussionnistes par rapport au public revête également une certaine importance mais doit être établi avec prudence. Nous connaissons tous (ou presque !) Perséphassa de Iannis Xenakis et le positionnement réussi des six percussionnistes autour du public, mais spatialiser les musiciens doit venir d'un concept, d'une idée en lien avec le discours musical, et non pas être une simple originalité. Il faudra alors traiter les différents problèmes découlant de cette spatialisation, afin que ce choix ne soit pas fait au détriment de l'écriture musicale de la pièce et du rendu sonore souhaité (les impacts ne seront par exemple jamais parfaitement synchronisés pour l'oreille du public suivant sa position dans la salle). Une disposition instrumentale originale ne rattrapera jamais une pauvreté musicale ou une panne d'inspiration, mais pourra ajouter une autre dimension à l'œuvre.

La partition

Notices explicatives

Nomenclature : il est important de dresser d'une part une nomenclature détaillée des instruments joués par chacun des percussionnistes, afin de pouvoir imaginer la disposition et évaluer les dimensions de chaque set-up, et d'autre part d'établir la liste récapitulative de l'instrumentarium total. Cela facilitera grandement la tâche des régisseurs, organisateurs, transporteurs et loueurs d'instruments, et permettra d'éviter les oublis ou les doublons. En effet, les pièces pour ensemble de percussionnistes requièrent en règle générale beaucoup d'instruments et les réunir peut rapidement devenir un casse-tête.

Accord : dans le cas de l'utilisation d'un grand nombre d'instruments d'un même type, il peut être intéressant de dresser une fiche récapitulative de l'accord de ces derniers en précisant leur répartition entre les différents percussionnistes.

Plan d'implantation : en plus d'un plan pour chaque set-up, et à défaut de joindre un plan détaillé de l'ensemble des instruments qui pourrait rapidement devenir illisible, l'adjonction d'un plan d'implantation des percussionnistes est indispensable afin de permettre la localisation rapide de chacun.

Numérotation : le compositeur devra également définir un système de numérotation des percussionnistes, le plus logique possible, en fonction de la disposition globale de l'ensemble (jardin à cour, face à lointain...), du rôle des membres, ou en fonction de l'instrumentarium (set de peaux, de métaux...). Il sera indispensable d'utiliser cette même numérotation sur le plan d'implantation, mais également dans la liste globale des instruments ainsi que dans la répartition des lignes sur le score.

Format de la partition

Les critères de mise en page de la partition et de répartition des lignes selon les instruments demeureront identiques à ceux décrits dans la partie Percussion solo. Pour l'édition de la partition il y a toutefois quelques spécificités à garder en tête :
  • Score : la partition rassemblant toutes les parties sera utile au chef si l'ensemble est dirigé, ou aux membres de l'ensemble pour une appréhension globale de l'œuvre. Il est important que le compositeur utilise, pour déterminer l'ordre des parties, le même système de numérotation que celui établi pour le plan d'implantation (voir ci-dessus).
  • Parties séparées : en plus de l'édition d'un score regroupant toutes les parties, il est indispensable de joindre des parties séparées, qui pourront selon la complexité de l'écriture, la présence ou non d'un chef, et les difficultés de mise en place qui en découlent, donner des répliques des autres parties ou même la totalité. Un jeu sur les tailles de police facilitera dans ce cas la lecture et permettra au percussionniste de mieux se repérer, les parties des autres membres de l'ensemble pouvant être largement réduites par rapport à la sienne. On évitera ainsi de trop nombreuses tournes.